La fontaine des quatre parties du monde
Jardin des grands explorateurs, 75006 Paris
Création : entre 1867 et 1874
Le Jardin des Grands Explorateurs créé une perspective vers le palais du Luxembourg. A son entrée, se trouve l’une des plus belles fontaines de Paris, la fontaine des quatre parties du Monde. Un examen attentif révèle que le sculpteur Jean-Baptiste Carpeaux y a placé un message sur l’esclavage.
Une œuvre collective
Les fontaines monumentales se multiplient à Paris sous le Second Empire. L’organisation est à peu près toujours la même : l’architecte Gabriel Davioud agit comme chef d’orchestre, c’est l’un des architectes incontournables d’Haussmann, notamment pour tous les travaux hydrauliques. Ensuite un collectif de sculpteurs se chargent de la réalisation.
Le bassin et ses nombreux animaux sont ainsi l’œuvre d’Emmanuel Frémiet. La sphère céleste reconnaissable aux douze signes du zodiac est d’Eugène Legrain. C’est une référence à l’observatoire de Paris qui se situe à quelques mètres de là. Mais la partie la plus remarquable de la fontaine est le groupe des quatre femmes qui portent la sphère, sculpté par Jean-Baptiste Carpeaux. Elles représentent chacune une partie du monde : l’Asie, l’Amérique, l’Europe et l’Afrique.
Carpeaux, un sculpteur libre
Jean-Baptiste Carpeaux est une personnalité à part dans le paysage du XIXème siècle. Une de ses œuvres l’illustre très bien : le groupe représentant « La danse » pour la façade principale de l’opéra Garnier. On lui demande un groupe de trois personnages, il en fait six. On attend de lui une composition classique, il réalise une œuvre pleine de mouvement et d’expressivité. Les corps sont représentés dans un style réaliste et non idéalisés (ce qui fait d’autant plus scandale, que ces vrais corps sont à hauteur d’homme, et même de femme). On lui demande de recommencer, il refuse.
Un message caché
On retrouve ce style dynamique et réaliste dans la fontaine des quatre parties du monde. Les quatre allégories ne se contentent pas de porter la sphère, elles l’animent, et lui donnent effectivement un mouvement de rotation. Chacune est dans une posture différente correspondant à ce mouvement de ronde.
Il s’agit de la dernière œuvre de Jean-Baptiste Carpeaux et celui-ci ne pouvait pas se contenter de nous laisser une belle fontaine. Lorsque l’on regarde attentivement le groupe, un détail nous interpelle : l’Afrique a, à la cheville, une chaîne brisée. Une allusion claire à l’esclavage qui a été officiellement aboli dans beaucoup de pays au cours des années précédentes (1848 en France, 1865 aux Etats-Unis).
Cependant, le mouvement d’abolition est loin d’être complet. Carpeaux le rappelle à sa manière puisque la chaîne n’est pas libre. L’Amérique a le pied dessus. Au moment de l’inauguration du monument, en 1874, l’esclavage reste en vigueur dans de nombreux pays. Le Brésil notamment, gros bastion esclavagiste, ne l’abolira qu’en 1888.
On sait qu’il s’agit d’un thème important pour le sculpteur. Une autre de ses œuvres est d’ailleurs dérivée de la figure de l’Afrique. Il s’agit du buste ci-dessous, dont le titre est « Pourquoi naître esclave ? » (une version en plâtre est conservée au Petit Palais).