Paris à travers L’Assommoir d’Emile Zola
Dans l’assommoir, nous suivons l’histoire de Gervaise Macquart, arrivée à Paris à 17 ans. Après des débuts difficiles, elle se marie avec un ouvrier-zingueur nommé Coupeau, et, à force de travail, réussit à ouvrir son propre atelier de blanchisserie. Mais le mari commence à fréquenter assidûment les marchands de vin et cabarets, dont le fameux assommoir qui distille son propre alcool. Commence alors une lente et inéluctable déchéance qui ne peut s’achever que par une fin tragique.
Le roman va permettre de plonger dans le Paris du Second Empire, puisqu’il couvre une période allant de 1850 à 1870, et plus particulièrement dans la vie de ses quartiers ouvriers.
L’intense activité des barrières
L’essentiel de l’action se déroule autour de la rue de la Goutte-d ’or. Au début du roman, l’enceinte des fermiers généraux est encore debout. Celle-ci permettait de taxer les produits entrant dans Paris, notamment les vins et spiritueux, taxés autour de 50%. Les cafés, cabarets, marchands de vin se massent donc logiquement aux portes de Paris (les limites de Paris sont alors situées au niveau des boulevards qui sont aujourd’hui parcourus par les lignes 2 et 6 du métro). Ils sont ainsi juste derrière l’enceinte et ne paient pas de taxes. Mais cette concentration des commerces d’alcool en tous genres posent de nombreux problèmes de santé et de sécurité. Le mari de Gervaise, Coupeau, est ainsi progressivement englouti dans ces lieux dont il fait assidûment la tournée et dans lesquels il finit parfois par disparaître plusieurs jours.
L’artisanat dans la ville… et même dans l’appartement
Les activités artisanales, encore largement dominées par des petits ateliers, sont totalement imbriquées dans les espaces résidentiels. Dans l’assommoir, on peut même trouver un couple de chaîniste (travaillant l’orfèvrerie) qui réalisent la fonte du métal chez eux. C’est un aspect qui est aujourd’hui difficile à imaginer, les vestiges de cette activité ayant quasiment disparu. On en trouve juste quelques traces, notamment dans le 11ème arrondissement avec les cours industrielles.
Une ville en mutation
Zola décrit en détail l’insalubrité des logements rongés par l’humidité et leur exigüité. Ceci est bien sûr renforcé par l’interpénétration des activités artisanales et résidentielles que l’on vient d’aborder (le fils de Gervaise dort ainsi avec le linge sale de la blanchisserie). Mais surtout, la précarité est généralisée. Il n’y a encore aucun système d’assurance vieillesse, maladie ou même de prise en charge des accidents de travail. Les seules solidarités sont familiales et le roman montre bien que, lorsqu’elles n’existent pas ou plus, les difficultés s’accumulent très vite. Dans le roman, il y a d’ailleurs de nombreuses expressions pour parler des périodes de disette qui frappe les familles : on « danse devant le buffet » ou on « dîne par cœur ».
Mais on perçoit quand même les changements apportés sous le Second Empire. Zola mentionne les voies qui sont ouvertes comme les boulevards Ornano et de Magenta. L’abattoir qui était dans Paris intra-muros est supprimé et remplacé par l’hôpital Lariboisière. L’hôpital Sainte-Anne est ouvert (il date de 1867) pour traiter les maladies mentales. Il aura un cas d’école avec le delirium tremens de Coupeau.
Un réalisme, pas très bien accueilli
Zola offre donc une vision très réaliste de la vie dans les quartiers ouvriers de Paris entre 1850 et 1870 qui représente un témoignage historique précieux. Mais ce réalisme n’a pas forcément plu.
La diffusion du roman, faite par épisode dans le Bien Public, est suspendue après de vives critiques. Elle choque les tenants de l’ordre moral en raison des audaces du langage et de l’utilisation de l’argot (dans les dialogues, mais aussi dans la narration). Le Figaro, en 1876, parle même de pornographie. Mais le roman n’est pas forcément plus aimé à gauche où on lui reproche parfois de salir le peuple. Cependant, malgré toutes ces critiques, le livre est un grand succès, et connaît par la suite de nombreux tirages.
Zola assume en fait une vision que l’on qualifie de naturaliste, bien loin des œuvres paternalistes qui sont souvent diffusées à cette époque. Il écrit ainsi : « J’ai éclairé violemment des souffrances et des vices, que l’on peut guérir… Je laisse aux moralistes et aux législateurs le soin de réfléchir et de trouver les remèdes. »